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Le pantin de chair

Textes > Contes cruels et immoraux

Ce texte pourrait être considéré comme une autre version de Pinocchio. Un Pinocchio sans fée Bleue, et sans bon sentiments. Ceux qui ont lu mes précédents contes sauront à quoi s'en tenir!


Il y a bien longtemps de cela, dans une petite ville sans histoire, vivait un vieux fabriquant de marionnettes. Il avait passé toute sa vie au milieu de ses poupées, mettant tout son cœur à son ouvrage, si bien qu’un jour, il réalisa qu’il était devenu vieux, qu’il n’avait ni femme ni enfant, et que ses seuls amis étaient ses compagnons de bois.

Ses mains n’étaient plus si vaillantes que dans sa jeunesse, ni sa vue si perçante. Aussi décida-t-il de mettre tout ce qui restait de son talent dans une dernière poupée. Il y passa de longues heures, travaillant nuit comme jour, patiemment, amoureusement, à la confection de ce petit être. Il fit si bien, qu’un peu de son âme passa dans la marionnette. Et lorsqu’il l’eut finie, on aurait juré qu’elle allait se mettre à parler et bouger. Le vieil homme fatigué considéra alors le petit garçon de bois avec autant de tendresse, que s’il avait été son fils. Après tout, n’avait-il pas surgi de ses mains ?

Chaque jour, il lui parlait joyeusement, lui fabriquait de nouveaux vêtements, le couvait de son regard chaleureux. Ce faisant, il envoyait chaque jour une nouvelle étincelle de vie dans le bois du petit corps.

Au bout de quelques mois, le vieil homme commença à avoir l’étrange impression d’être observé par la marionnette. Il arrivait même parfois, lui semblait-il, qu’il changea imperceptiblement de position, en un clin d’œil, le temps de se retourner. Bien sûr, au début, il chassa bien vite de son esprit cette impression. C’était l’âge qui commençait à lui jouer des tours !

Mais le phénomène persistait. Certains s’en seraient inquiétés, mais pas lui. Au contraire, il espérait dans le secret de son cœur, sans oser s’avouer un espoir aussi fou, que la marionnette se mette réellement à vivre un jour. Ainsi, il aurait un fils bien à lui !

Bien sûr, il avait conscience combien cette idée était folle. Il n’était pas encore sénile.

Les jours, puis les semaines continuaient ainsi leur cours, et les phénomènes, loin de s’estomper, se faisait de plus en plus fréquent, et insistants. Ce n’était plus juste un rêve désormais, mais une réalité ! La poupée commençait à bouger par elle-même pour de bon ! Au début, il s’agissait juste de gestes sans but précis. Et bien qu’il lui parlât, il n’obtenait jamais de réponse. Les yeux restaient désespérément vides. Si la marionnette avait un cœur, il lui manquait encore l’esprit. Il se mit donc à lui parler d’avantage, à lui raconter des histoires, lui réciter des leçons, comme on aurait fait pour un jeune enfant, afin d’éveiller son intelligence. Au bout de quelque temps, la marionnette lui donna l’impression qu’elle l’écoutait, le regard posé sur lui, la tête légèrement penchée sur le côté. Le vieil artisan, encouragé, continua son éducation. Et au bout de plusieurs jours, la poupée sembla vouloir parler. Elle ouvrait la bouche, sans qu’aucun son n’en sorte. Mais loin d’être déçu, le vieil homme s’entêta, enfiévré, l’encourageant à former des mots. Il ne manquait plus désormais que la parole à son « fils ». Il bougeait sans problème, et montrait tout les signes de l’intelligence. Il se concentra donc sur cette unique tâche, essayant de lui enseigner des sons simples, les voyelles, des syllabes bien sonores, espérant chaque jour d’avantage qu’un souffle sorte enfin de cette gorge de bois. Il pressentait confusément que s’il cessait d’y croire, le charme serait à jamais rompu, et que ce serait la fin de tout.

Il persévéra donc, donnant tout son amour au pantin.

C’est un matin que l’ultime miracle se produisit. Il fit tout d’abord sortir un son inarticulé de sa gorge. Une sorte de gargouillis étranglé. Mais, surpris lui-même du résultat, il retenta l’expérience, pour obtenir cette fois un résultat plus satisfaisant. Au bout de quelques minutes de cet exercice, il finit par cracher quelques copeaux de bois, et comme s’il s’agissait là de l’origine de sa gêne, il put dès lors parler normalement, intelligiblement, comme s’il avait fait cela toute sa vie. Des larmes de joie inondèrent les joues du vieil homme. Il serra son enfant de bois contre sa poitrine, de toutes ses maigres forces, le cœur empli d’une gratitude infinie.

Une nouvelle vie commença alors pour eux deux. Celle d’un père et son fils. Tout se passa très bien durant les premiers mois. Puis, le vieil homme finit par remarquer que son enfant semblait préoccupé par quelque chose, regardant par la fenêtre. Il lui demanda alors ce qu’il y avait.

― « Je ne suis pas comme les autres enfants. Ils ne sont pas faits de bois, comme moi. Ils te ressemblent davantage. Ne serai-je jamais comme eux ? »

― « Tu n’es peut-être pas comme eux, mais cela ne m’empêche pas de t’aimer. Cela te rend unique. »

― « Mais n’aurai-je jamais une vie normale ? Devrai-je vivre caché toute ma vie ? »

― « Mon pauvre garçon. J’ai bien peur que si tu te montrais, les autres ne sauraient comprendre ce que tu es vraiment. Mais regarde déjà quels miracles nous avons accomplis ! Si tu es encore un peu patient, qui sait, peut-être qu’un nouveau miracle se passera ? » Et ce disant, il le serra dans ses bras, sans se douter qu’il venait de planter une graine du mal dans le cœur de son fils. Cette graine s’appelait l’Envie, et là où elle poussait, d’autres mauvaises herbes ne tardaient pas à s’épanouir.

Comme son père le lui avait conseillé, il patienta, et patienta encore durant les semaines qui suivirent. Mais désormais, il n’était plus uniquement nourri par l’amour d’un père, mais par cette convoitise qui grandissait en lui. Et la simple présence de ce sentiment avait empêché de se produire ce miracle qu’ils espéraient tant, sans même savoir s’il aurait lieu.

Le pantin en eut finalement assez d’attendre en vain quelque chose qui n’arriverait peut-être jamais. Il se dit qu’il fallait mieux provoquer soi-même son destin. Et puisqu’on ne lui donnait pas un corps de chair, il allait le chercher lui-même à la source.

Il sortit alors furtivement une nuit, et se promena dans les rues inconnues, qu’il n’avait jusqu’à présent connues qu’à travers une fenêtre. Il marchait sous le couvert de la nuit, qui dissimulait sa vraie nature. Non pas qu’à cette heure de la nuit, les rares personnes de sortie lui prêtèrent grande attention.

La vie nocturne était si différente ! Les rues n’étaient plus peuplés que de mendiants, filles de mauvaise vie, de brigands et autres soudards. Cela ne ferait qu’arranger ses affaires, se dit-il !

À force d’errer de rue en rue, il finit par tomber sur le quartier des mendiants. Il scruta chacun d’entre eux, cherchant celui qui lui conviendrait. Finalement, il trouva, recroquevillé dans un coin, un jeune garçon, qui devait faire à peu près sa taille. Il l’interpella, et l’entraina à sa suite, lui faisant miroiter quelque récompense, à l’indifférence totale des autres indigents, trop enfermés dans leur propre malheur pour remarquer quoi que ce soit.

Il l’entraina à l’écart, sous un porche abandonné. Et en un instant, il abattit sur sa pauvre victime la scie à bois qu’il avait apportée avec lui. Il fit en sorte que l’enfant meure vite et bien, sans faire de bruit. Une fois son forfait accompli, il lui trancha le bras gauche, et sortit les quelques autres outils qu’il avait pris à son père, sans que celui-ci ne s’en aperçoive.

L’instant d’après, il s’attela à la tâche. Il détacha son propre bras, et cousit à la place le bras qu’il venait de s’approprier. Ce n’était que justice. Après tout, l’autre enfant ne faisait rien de sa vie. Il gâchait le cadeau qu’on lui avait fait. Il méritait plus que lui d’avoir un vrai corps. Il avait tellement travaillé pour en arriver là !

Une fois sa besogne terminée, il admira le résultat. Il pouvait mouvoir ce nouveau bras comme s’il avait toujours été le sien ! S’arrachant à sa contemplation, il rangea ses affaires, dissimula le corps, pour qu’on ne le trouve pas tout de suite (comme si quelqu’un se soucierait de la disparition d’un mendiant !) et enveloppa son ancien bras, pour le cacher plus tard en lieu sûr.

Lorsqu’il arriva enfin à son domicile, les premières lueurs de l’aube commençaient tout juste à poindre. Il se glissa subrepticement dans son lit, et fit semblant de dormir. Son père ne tarda pas à se réveiller. Comme tous les matins, son premier geste fut d’aller au lit de son fils afin de le réveiller, et de lui dire bonjour.

Mais quelle ne fut pas sa surprise ce matin là, de trouver à la place du bras gauche de son enfant, non pas un morceau de bois façonné, mais un vrai bras de chair et d’os ! L’enfant semblait tout autant surpris que lui. Sans doute le miracle tant attendu s’était-il enfin produit durant leur sommeil, à la faveur de la nuit !

Le vieil homme était si ému, qu’il ne pouvait articuler aucune parole. Il pleurait de joie, en serrant son enfant contre lui.

― « Tu vois, » finit-il par réussir à dire, « je te l’avais dit que si tu étais patient, un nouveau miracle arriverait ! »

Il ne faisait aucun doute dans le cœur de l’homme que son fils continuerait ainsi sa transformation, jusqu’à devenir entièrement humain. Le pantin avait la même certitude.

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Il décida de prendre son temps. Trop de précipitation pourrait causer sa perte. Il attendit que plusieurs jours passent, que le cadavre soit découvert. Mais si cela fut le cas, personne n’en parla. Qui se souciait d’un mendiant en moins ? Rassuré, il décida de repasser à l’action. Il refit à peu près le même manège, si ce n’est que cette fois-ci, il jeta son dévolu sur une jambe. Et l’émotion de son père fut tout aussi grande, quand à son réveil, il découvrit le membre neuf. Le pantin s’en amusait intérieurement. Il n’était jamais aussi heureux que dans ces moments-là d’avoir un visage de bois, inexpressif, pour cacher ses émotions.

Il ne détestait pas le vieil homme, après tout, il lui devait d’exister. Mais il n’avait plus à son égard cette affection enfantine. Tout juste de l’indulgence.

Un mois plus tard, tous ses membres avaient été remplacés par des vrais. Il en était ravi. Ils étaient tellement plus fonctionnels que ses vieux membres de bois, aussi bien faits avaient-ils pu être ! Il les gardait malgré tout, dissimulés sous une latte du vieux plancher. On ne savait jamais. Il avait eu peur au début que ses membres finissent par pourrir, et qu’il soit obligé de reprendre ses bons vieux bras de bois. Mais pour il ne savait quelle raison, tout s’était parfaitement bien passé.

Mais à présent, il lui fallait passer à l’étape supérieure : il lui fallait un nouveau buste. Et là, il se heurtait à un obstacle. Il ne voulait pas s’en prendre à un mendiant. Ils étaient malingres et maladifs. Il n’y avait pas eu de soucis pour les membres, mais il ne voulait pas d’un corps en mauvaise santé. Le problème étant que les enfants ayant une famille, même pauvres, ne sortaient pas la nuit. Il lui fallait donc agir de jour.

Heureusement, il était autorisé désormais à sortir dans la rue. Son créateur, persuadé que dans les semaines qui suivraient, il deviendrait un enfant comme les autres, le laissait se familiariser avec la ville. Il lui avait fait un manteau avec une large capuche pour dissimuler son visage, car c’était désormais la seule partie visible de son corps qui trahissait sa réelle nature.

Il se mit à surveiller les abords de l’école à la sortie des élèves. Il comprit que c’était le meilleur moment pour s’emparer de l’un d’eux, car tous ne rentraient pas directement chez eux, certains préférant flâner en route, prenant des chemins détournés, ou s’adonner à quelque jeu. Encore fallait-il choisir sa victime. Son choix se porta sur un enfant qui rentrait seul chez ses parents, par des rues peu fréquentées. Il n’avait pas l’air aussi athlétique qu’il aurait souhaité pour son futur corps, mais cela ne lui faciliterait que plus la tâche, évitant qu’il ne lui échappe. Et puis il lui serait toujours possible par la suite d’entretenir son corps plus convenablement. Il choisit une journée grise pour agir, ou les gens étaient moins enclins à flâner dans les rues. Il le suivit un temps, sans se faire voir, puis, arrivant à un endroit stratégique, il l’interpella.

L’enfant eu l’air méfiant. Ayant prévu une telle réaction, il sortit une des petites marionnettes de son père de sous son manteau, et la fit danser, faisant rire son spectateur.

― « Si tu aimes les spectacles de marionnettes, suis-moi, et tu verras le spectacle le plus incroyable de ta vie ! »

Et il se retourna pour partir, sachant que sa victime le suivait volontairement. Il ne lui mentait pas en plus. Il s’agissait effectivement du spectacle de marionnettes le plus incroyable du monde. Il avait juste omit de dire qu’il risquait de ne pas l’aimer.

Lorsqu’il le tua, il prit bien la précaution de ne viser que la tête, pour ne pas abîmer le corps, ce qui l’aurait rendu inutilisable. Il n’aurait eu plus qu’à recommencer, et il ne pouvait se le permettre. Il se mettait déjà bien trop en danger.

Remplacer son corps s’avéra plutôt ardu, mais pas si difficile qu’il l’avait craint. Après tout, séparer la tête de son corps ne signifiait pas la mort pour lui, contrairement aux autres. En cela, son corps de bois était supérieur.

Une fois chez lui, une autre difficulté s’annonçait : il fallait d’une part qu’il dissimule son ancien buste dans son trou, sous le plancher, et d’autre part, éviter que son père ne s’aperçoive de sa nouvelle transformation avant le lendemain matin.

Mais la vraie difficulté, il ne l’avait pas prévu. La découverte du cadavre - ou plutôt ce qu’il en restait - si horriblement mutilé de cet enfant de famille honnête provoqua un mouvement de panique dans la ville. Très vite on parla de la vague de disparition d’enfants parmi les indigents. Toute la cité prit peur, et barricada ses rejetons.

Cela contraria grandement notre jeune bourreau, à un pas seulement de sa transformation totale.

Désormais, il avait le corps entièrement fait de chair, à l’exception de la tête. Il expérimentait chaque jour de nouvelles sensations. Il pouvait désormais manger, mais il n’avait toujours pas le goût des aliments, ce qui le contrariait et le rendait impatient. À quoi bon manger dans ces conditions ?

Le vieil artisan, lui, était aux anges, et lui intimait la patience. Irritant d’avantage sans s’en rendre compte son enfant. Sans compter que l’homme aussi avait cédé à la panique, et refusait désormais de le laisser sortir, prétextant que pour lui, cela pourrait être encore plus dangereux, si l’on s’apercevait qu’il n’était pas un petit garçon ordinaire.

Dans ces moments là, il avait envie de lui hurler qu’il ne craignait rien, pour la simple et bonne raison qu’il était le meurtrier.

Il n’avait d’autre choix que de prendre patience, attendant que la psychose se calme. Sans compter que la dernière et ultime étape de sa transformation était la plus délicate, et ne donnait pas droit à l’erreur. Sa nouvelle tête. Il ne voulait pas n’importe quelle tête. Il était devenu exigeant. Il voulait la plus belle tête possible. Il estimait même que c’était un droit, pour un être exceptionnel tel que lui. Il savait déjà qu’il ne la trouverait pas dans les bas-fonds. Il ne voulait pas d’une tête sale, aux dents gâtées, à la chevelure pleine de vermine. Parmi les écoliers qu’il avait observés, il n’en avait pas vu non plus qui retiennent son attention. Mais il est vrai aussi qu’à ce moment là, il était plus concentré sur leur corps que sur leur visage. Mais il savait qu’un beau visage aurait tout de suite retenu son attention. Il n’avait donc pas le choix, il lui fallait étendre son exploration de la ville aux quartiers plus éloignés. Cela ne l’enchantait guère, car il lui faudrait plus de temps pour y aller et en revenir. De plus, ces quartiers étant mieux cotés, ils étaient mieux gardés. Mais ne pouvant contenir d’avantage son impatience, il décida de s’y rendre. Seulement, avec le chaperonnage de son père, il ne pouvait s’y rendre qu’à la nuit tombée. Quand tous les enfants de bonne famille dormaient comme des bienheureux, inconscients de leur chance.

Plusieurs jours d’affilée, il s’y rendit. Et chaque jour, il revenait un peu plus contrarié, bredouille. Mais il s’entêtait, se jurant d’y arriver.

Une nuit, il fit la rencontre qui allait sceller son destin. Accoudé à la balustrade d’un balcon, un jeune garçon admirait la nuit. Sa mère le rappela vite à l’ordre, l’obligeant à aller se coucher. Mais le pantin avait eu le temps de contempler les belles boucles blondes, et ses traits fins.

C’était décidé. C’était lui, il le lui fallait !

À présent, il ne lui restait plus qu’à mettre son plan à exécution. Tout d’abord, il fallait le tuer sans l’abîmer. Il trouva de l’éther parmi les divers vernis, peintures, et autres produits de l’atelier de son père, et résolu de s’en servir, afin de le tuer par étouffement. Ne restait plus qu’à savoir quand et comment.

Fort heureusement pour lui, l’absence de nouvelles morts ou disparitions d’enfants durant les dernières semaines calmait les esprits, et l’on put commencer à recirculer normalement. Pouvant à nouveau sortir de jour, sa surveillance en était grandement facilitée. Il put entre autres découvrir que la demeure de sa future victime possédait un grand jardin arboré, et qu’il adorait s’y réfugier, afin d’échapper un peu à l’affection étouffante de sa mère. Il ne serait pas trop difficile de pénétrer sur ce terrain, et encore moins de se cacher dans un fourré.

Il s’arma donc de son matériel et de patience, et attendit son heure.

Une fois de plus, il s’était armé d’une petite marionnette - une de ses petite sœurs, comme il aimait à les appeler ironiquement - pour attirer sa victime. Il la laissa là, gisante, juste à côté d’un buisson dans lequel il s’était dissimulé.

Il vit le jeune garçon approcher, courant joyeusement, plein de vie. Bientôt il n’y aurait plus trace de cette âme sous ce beau front ! Soudain, il vit la petite chose, abandonnée près d’un buisson. D’où pouvait-elle venir ? Il s’approcha, intrigué. & au moment où il se penchait pour la ramasser, on lui bondit dessus.


― « Fils, dépêche-toi, nous allons être en retard ! »

Un superbe jeune garçon, aux cheveux blonds comme les blés, se retourna.

― « Oui mère, j’arrive tout de suite. »

On pouvait apercevoir une fine cicatrice à la base de son cou, mais elle s’estompait de plus en plus. Bientôt, il n’en resterait qu’un mauvais souvenir. Personne ne savait comment il se l’était faite. Pas même lui. Ou du moins, il se gardait bien d’en parler à ses parents. On le trouvait changé aussi, depuis ce jour. Ce pourrait-il qu’il lui soit arrivé quelque chose ? Et s’il avait croisé ce tueur d’enfants ? Plus personne n’en parlait à présent. Il semblait avoir disparu comme il était apparu, et c’était aussi bien. Un brillant avenir attendait ce jeune homme, qui avait eu la chance de naître dans une bonne famille. « Ho oui, quelle chance il avait eue ! » se disait-il, un petit sourire aux lèvres.


Dans une vieille maison, encore plus vieille que son occupant, vivait un vieux fabriquant de marionnette. Il parlait avec affection avec un pantin, comme s’il s’attendait à ce qu’il lui réponde. Mais la résignation se lisait sur son visage. Il avait bien vieilli ces dernières semaines.

Un matin, il avait retrouvé la poupée dans son lit, inanimée. Tous ses membres étaient redevenus de bois, et toute vie avait quittée ce corps, comme s’il n’y en avait jamais eu. Il ne comprenait pas pourquoi ! N’allait-il pas devenir un vrai petit garçon ? Pourquoi lui offrir ce miracle, si c’était pour lui reprendre de façon si cruelle ? Durant un temps il pensa - espéra - que c’était une autre épreuve, qu’il devait espérer, patienter, et qu’un jour, on lui rendrait son fils, et que cette fois, il serait totalement humain. Mais au fond de lui-même, il savait qu’il se berçait d’illusions. Il ne sentait plus l’étincelle de vie qui avait toujours été présente dans le pantin jusqu’ici, même alors qu’il n’était pas achevé. A croire que son âme était partie ailleurs.

Ou bien avait-il imaginé tout cela ? Était-il devenu fou ? Il n’avait parlé de tout cela à personne, et encore moins montré son enfant à qui que ce soit. Alors comment en être sûr ?

En attendant, il restait au côté de la poupée, la berçant tendrement contre son cœur, en lui chantonnant des comptines. Se berçant lui-même de ses souvenirs, une larme sur chaque joue, rêvant à la famille qu’il n’avait jamais eue, et au fils qu’il avait eu, le temps d’un rêve.

Fin

Fiche ajoutée le 20 octobre 2009.

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