Textes

Image aléatoire :
Sculpture à l'oiseau
miniature

Amour bestial

Textes > Contes cruels et immoraux

Ce texte reprend le thème de la Belle et la bête. L'idée m'en ai venu à cause d'une réflexion que je me suis fait il y a longtemps, en voyant une des adaptation de ce conte. A la fin, alors que la belle tombe amoureuse de la bête, celle-ci se voit transformer en prince. Mais moi, je n'étais pas satisfait, je me disais: mais c'est la bête qu'elle aime, que va t-elle faire de ce prince à la noix?" J'avais vraiment l'impression qu'elle s'était fait arnaquer.
Il en va donc de même avec ce conte comme des autres: oubliez les jolis contes de fées pleins de beaux princes et de gentilles marraines. Je dois aussi vous prévenir que ce conte pourrait en choquer quelques uns, par son contenu (le titre est assez explicite de ce point de vue).


Dans un petit village, dont rien ne venait jamais troubler la tranquillité, vivait une jeune fille d'une grande beauté. D'aussi loin qu'elle se souvienne, elle avait toujours été complimentée pour son allure. Au point qu'elle en ressentit assez tôt une certaine vanité. Sa beauté était telle que tout le monde l'appelait la Belle. Nul ne faisait exception. On finit même par en oublier son véritable prénom. Elle s'en irritait quelque peu, mais après tout, si cela pouvait faire plaisir à ses pauvres admirateurs, qu'ils fassent ce que bon leur semble!

Si tous les hommes rêvaient de la courtiser, les femmes, elles, étaient soit admiratives, soit mortellement jalouses. Il était bien dur pour une jeune fille de trouver un fiancé, qui renoncerait du même coup à courtiser la Belle. Et il était tout aussi dur pour les femmes mariées d'empêcher leurs maris de jeter des coups d'œil appréciateurs à la jeune fille.

La situation les désespérait d'autant plus que la Belle, elle, ne semblait pas pressée de prendre un époux. Au contraire, elle semblait se moquer de tous les hommes du village, papillonnant de l'un à l'autre, accordant un temps ses faveurs à celui-ci, pour les lui reprendre, une fois lassée, et se tourner vers un amant plus jeune et plus fougueux.

La Belle savait ce que ses rivales disaient derrière son dos, et elle n'en avait cure. Elle ne pouvait que les plaindre de ne pas être aussi désirables qu'elle, et de ne pas savoir retenir un homme! Elle, elle savait ce qu'ils voulaient tous, et ce qu'ils valaient. Elle les prenait juste assez longtemps pour s'en amuser, et les jetait avant que ceux-ci s'imaginent avoir un quelconque droit de propriété sur elle. Comment pourrait-elle s'offrir à un seul d'entre eux, alors qu'aucun ne lui arrivait à la cheville? Et comment un seul amant pourrait la satisfaire? Non, décidément, elle n'était pas près de se marier. Mais si seulement le village pouvait être un peu plus grand! Elle avait bien vite fait le tour de tous les prétendants dignes d'elle. Et pas un pour lui résister. Ce n'était déjà plus si drôle.

Ainsi pensait la Belle. Pas étonnant dans ce cas qu'elle se soit attiré l'inimitié de plus d'une! Elle n'avait pas une seule amie. Et cela lui était bien égal. Mais des ennemis, ça, elle n'en manquait pas! Mais à elles non plus elle ne prêtait pas attention, ne les croyant pas capables de faire quoi que ce soit. De plus, il n'y aurait pas un homme pour ne pas la défendre!

Si cette jeune fille avait encore eu sa mère, sans doute celle-ci l'aurait-elle mise en garde contre son attitude. Mais la pauvre l'avait perdue très tôt, et s'en souvenait à peine. Ne lui restait que son père, qui était souvent sur les routes, étant négociant. Et le brave homme ne semblait pas se rendre compte de ce qui se passait. Cela valait peut-être mieux, cela lui évita bien du tracas.

Les seules filles qu'elle fréquenta un temps soit peu, sans pour autant s'en être fait des amies, était deux cousines qui passaient parfois la voir, seulement lorsque son père était là. Celles-ci nourrissaient une haine secrète à l'encontre de leur cousine. Et elles s'étaient promis de tout faire pour lui faire payer un jour son orgueil.

Un jour, elles vinrent rendre visite à la Belle en l'absence de son père. Ce qui l'étonna quelque peu au début. Mais elle balaya bien vite de son esprit cette pensée sans importance. Elles avaient toutes deux l'air surexcités, et l'enjoignaient à les suivre. Où ça? leur demanda-t-elle. Au vieux manoir abandonné dans la forêt, en dehors du village. On dit que dans ses jardins pousserait une fleur capable de rendre n'importe quelle femme encore plus belle! fut leur réponse. La Belle, très peu intéressée, refusa de les suivre. Quel intérêt pour elle? Comment pourrait-elle être encore plus belle qu'elle ne l'était déjà? Ho, tu ne veux donc pas venir, aurais-tu peur que nous découvrions qu'en réalité, tu utilises les vertus de cette fleur depuis toujours? la raillèrent-elles, pour la convaincre de les accompagner. Leur pique eu l'effet escompté. Oh, vous croyez ça? Hé bien c'est ce que l'on va voir! Répliqua leur cousine. Et elles se mirent en chemin.

Il leur fallait une bonne partie de la journée pour se rendre au vieux manoir. C'est pourquoi elles étaient parties de bonne heure. Les deux cousines se réjouissaient intérieurement. Pas à cause des raisons évoquées de cette excursion, mais parce que, comme vous l'avez peut-être déjà deviné, elles avaient l'intention de jouer un mauvais tour à leur trop jolie compagne. En effet, ce manoir était connu de tous. On le disait habité par une créature ni homme ni bête. Certains prétendaient qu'il s'agissait du maître des lieux lui-même, qui aurait été maudit par une sorcière il y a de nombreuses années de cela. Peu croyaient à la véracité de cette légende. Mais ils étaient encore moins à avoir le courage de s'approcher suffisamment pour vérifier la chose. Les trois jeunes filles, comme tous ceux de leur âge, faisaient partie de ceux qui y croyaient le moins. Mais même si les lieux étaient totalement abandonnés, il y avait encore de quoi offrir une belle frayeur à quiconque s'y retrouverait enfermé. En tout cas, telle était l'intention des deux cousines.

La matinée touchait à sa fin lorsqu'elles arrivèrent devant les grilles d'une vieille bâtisse, dont on pouvait encore deviner qu'elle avait dû être riche, mais dont l'état actuel des jardins, envahis par la végétation, laissaient deviner le nombre d'années durant lesquels ils avaient été laissés sans le moindre soin. Aucun doute que l'actuel propriétaire des lieux - s'il y en avait un - n'avait cure de l'état de ses jardins.

Elles restèrent un temps pétrifiées devant le portail, hésitantes. Malgré leur assurance première, elles ne pouvaient s'empêcher de penser à toutes les histoires qu'elles avaient entendues, et d'avoir le cœur battant. Finalement, se donnant de l'assurance, l'une d'elles interpella les autres: Hé bien quoi? Vous avez peur de vous faire dévorer par le grand méchant monstre? Cette bravade suffit à leur faire reprendre courage, et à passer le portail. Elles s'enfoncèrent sous les frondaisons des arbustes qui avaient trop poussé, enjambant les herbes folles. Il ne semble rien y avoir par ici dit l'une des cousines, au bout de quelques minutes à faire semblant de chercher. Va donc chercher de ce côté, nous, nous irons par ici. Nous irons plus vite ainsi. La Belle haussa les épaules et s'éloigna. Lorsqu'elle fut hors de vue, les deux mégères coururent sans faire de bruit jusqu'au portail, qu'elles repoussèrent vivement derrière elles, avant de le fermer à l'aide d'un gros cadenas qu'elles s'étaient procuré en prévision de ce jour. Une fois leur forfait commis, elles étouffèrent leurs rires dans leurs mains, avant de repartir à grands pas vers le village. Elles n'osaient pas rester pour voir la réaction de la jeune fille lorsqu'elle se rendrait compte du tour qu'elles lui avaient joué. Ça lui apprendrait! Elle restera bien enfermée quelques jours avant de trouver le moyen de sortir, ou avant que les hommes du village, alertés par sa soudaine disparition, ne se lancent à sa recherche et ne la retrouvent. Si jamais elle avait faim, elle n'avait qu'à manger ce qu'elle trouverait dans le jardin. Et si elle avait peur de dormir à la belle étoile, elle pourra toujours essayer d'entrer dans le manoir... si elle en avait le courage! Oh oui, elles étaient plus que fières d'elles-mêmes. Dommage qu'elles ne puissent s'en vanter auprès de qui que ce soit!

Elles étaient bien loin lorsque la Belle, lasse de ces recherches futiles, ne rebrousse chemin pour retrouver ses compagnes. Après tout, comment était-elle censée trouver une fleur sans même savoir à quoi elle ressemble? Mais nulle part, elle ne les trouva. Exaspérée, elle prit le chemin de la sortie, bien décidée à repartir sans elles s'il le fallait. Mais quelle ne fut pas sa surprise de trouver le portail verrouillé? Et avec un cadenas flambant neuf de surcroît! Elle dut faire appel à toute sa bonne volonté pour ne pas céder à la panique et perdre de sa superbe. Cela leur ferait trop plaisir! Car elle avait bien compris qui était à l'origine de cette mauvaise blague. Elle leur ferait payer lorsqu'elle aurait trouvé le moyen de sortir de là! Avant toute chose: trouver une sortie. Elle se mit à longer le mur qui entourait la propriété, dans l'espoir de trouver une autre porte, un trou dans le mur, ou encore, un endroit où elle pourrait escalader. Toute à sa rage, elle ne pensait plus le moins du monde aux rumeurs concernant ce lieu. Grand mal lui en prit, car si elle s'était un tant soit peu méfiée, elle se serait rendu compte qu'on l'épiait depuis quelque temps à présent. C'était une présence tapie dans les fougères, parfaitement familière avec son environnement, et donc de la plus grande discrétion. Une présence qui n'était pas habituée à avoir de la visite, et qui fut donc attirée par cette nouveauté. Et soudain, ce fut une présence bondissante. Avant de comprendre ce qui lui arrivait, la Belle fut plaquée au sol, écrasée par le poids de son agresseur. Dans la confusion, il lui fallut un temps avant de voir de qui il s'agissait. Ou plutôt, de quoi? Car ce qu'elle avait sous les yeux n'avait rien d'un homme. Du moins, pas un homme normal! Une bête. C'était plus une bête qu'un homme. Couvert d'un pelage noir sur tout le dos et les membres, mais presque pas sur le visage et le ventre, pour ce qu'elle pouvait en voir. Il était sur elle, et il la reniflait. Elle se figea de peur. Et alors que ses pensées allaient à toute allure, se bousculant dans sa tête, elle repensa à ce que l'on disait sur cette demeure. Sur son propriétaire. Les rumeurs étaient donc vraies? Incroyable! Mais le moment était mal choisi pour s'extasier de la chose. La bête, elle, avait été attirée par l'odeur des femmes. Car c'était bien un homme, malgré tout, et qu'il n'avait pas de partenaire. Deux d'entre elles étaient parties, mais cela lui était bien égal, car c'était son odeur à elle, qui lui paraissait particulièrement savoureuse. Une odeur qui l'excitait particulièrement. À présent, il respirait cette odeur à plein nez, et ses mains griffues caressaient la chair tendre de la jeune fille. Mais plusieurs épaisseurs d'un ennuyeux tissu l'empêchait de goûter à loisir à ce corps. Impatient, exaspéré, il commença alors à déchirer les vêtements. La Belle paniqua. Elle ne pouvait en rien lutter contre cette force de la nature. Et il n'y avait plus aucun doute sur ses intentions! Ses cousines savaient-elles ce qui allait lui arriver en l'enfermant ici? Si oui, elles devaient bien lui en vouloir...

Bientôt, la créature arriva à ses fins. Mais contrairement à ses craintes, il ne se précipita pas sur elle comme un affamé sur du pain. Non, il prit son temps pour la caresser, pour découvrir son corps, comme si c'était la première fois qu'il voyait pareille merveille. En fait, il faisait preuve de plus de patience que certains des amants qu'elle avait eus. Ce qui eut pour effet de la rassurer quelque peu. Puis, il ne put plus se contenir. Et il la posséda. Alors, il redevint la bête qu'il était, et perdu dans son propre plaisir, adieu la douceur! Pour la Belle, cela parut rapide et interminable à la fois. Elle était perdue dans des sensations contradictoires. Si son partenaire avait été un homme véritable, une telle fougue n'aurait pas été pour lui déplaire. Bien au contraire. Peu de ses amants faisaient preuve d'une telle endurance. Ce qui faisait qu'à la longue, elle était devenue difficile à satisfaire. Mais lorsqu'elle regardait le visage de son violeur, une violente angoisse s'emparait d'elle. Poussant un ultime râle de contentement, le non-homme s'écroula à ses côtés, et s'y pelotonna, tel un animal ou un enfant en quête d'affection, enfonçant son visage dans son cou pour y chercher sa chaleur. Une chose impensable se passa alors dans le cœur de la Belle: elle fut attendrie. Nul être au monde, amant ou non, n'avait réussi à lui faire ressentir cela auparavant. Elle lui caressa alors d'une main son pelage, qu'il avait fort doux à son grand étonnement, tandis qu'il s'endormait paisiblement, un sourire aux lèvres. Elle se félicita que les choses ne se soient pas si mal passées, en fin de compte. Son propre corps commençait à se détendre, emporté à son tour par le sommeil, et le froid la gagnant, elle se couvrit du mieux qu'elle put du reste de ses vêtements. Puis plus tard, instinctivement, elle se colla à son tour à la bête, attirée par la chaleur de son corps. Tout les deux dormirent ainsi comme des bienheureux.

Elle fut réveillée quelques heures plus tard par le froid. La bête était partie, mais son corps perclus de douleurs, et ses vêtements déchirés étaient une preuve suffisante que rien de tout cela n'avait été un rêve. Le soir tombait sur le domaine, et les lieux commençaient à se faire moins rassurants. Un craquement soudain derrière elle la fit sursauter de peur. C'était lui. Il était revenu, apportant un lapin fraichement chassé, qu'il lui déposa dans les mains. Une offrande après l'amour? Se demanda-t-elle, tandis que son estomac se rappelait à elle. Merci, mais je ne peux pas le manger comme ça! lui dit-elle. Il ne sembla pas la comprendre. Ce qui ne l'étonna guère. Il n'avait pas vraiment eu souvent l'occasion de tenir une conversation, vu le nombre de personnes qu'il voyait! Suis-moi! Lui ordonna t-elle. Ce qu'il fit, sans trop savoir pourquoi. Elle pénétra dans le manoir, et constata tout de suite, par certains signes d'occupation, que son hôte n'avait pas pour habitude de dormir dans les jardins. Cela la rassura quelque peu. Après tout, il était peut-être moins bête que son apparence le laissait supposer.

Elle finit par trouver les cuisines. Elles paraissaient en triste état, mais après un nettoyage sommaire, elles s'avérèrent tout à fait acceptables. Elle réussit à trouver suffisamment de matériel pour cuire le lapin. L'homme-bête observa tout ce qu'elle faisait avec une grande attention. Une fois le repas cuit, elle lui fit goûter la viande ainsi préparée, ce qu'il sembla apprécier grandement, à son entière satisfaction. Ils dévorèrent tout deux leur repas, affamés qu'ils étaient par les activités de la journée.

Une fois rassasiée, la bête se rapprocha de la jeune fille, et recommença à la renifler. Son manque de vêtements et de pilosité à cet endroit bien précis de son corps ne laissait aucun doute sur ses intentions. Mais cette fois-ci, la Belle ayant appris à mieux connaitre son nouveau partenaire, n'en fut pas effrayée. Elle ne le trouvait plus repoussant. Il la fascinait même, à présent. Elle ne chercha donc pas à le repousser - ce qu'elle doutait pouvoir faire de toute façon - mais l'accueillit à bras ouverts. Ce qui se passa par la suite, elle eu du mal à en revenir. Le plaisir, sans borne, comme elle ne l'avait jamais ressenti. Et sans contrainte, car à aucun moment son partenaire ne la suppliait de n'aimer que lui. Elle n'avait aucune justification à donner. Tous deux n'attendaient qu'une chose: la satisfaction totale et immédiate de leur désir. Comment aurait-elle pu imaginer un seul instant trouver en ce lieu reculé le partenaire idéal?

Dès le lendemain, une certaine routine s'était installée entre eux. Elle entreprit aussi de le civiliser quelque peu. Ce à quoi il ne semblait nullement opposé. Elle cuisinait ce qu'il ramenait de la chasse, et ils dormaient désormais dans un lit, Après qu'elle eut enfin trouvé des draps en assez bon état. Mais elle ne fut pas la seule à apporter quelque chose à leur étrange couple. Lui aussi eut une certaine influence sur sa partenaire. À son contact, elle se bestialisa. Elle fonctionna plus à l'instinct, à l'envie. Elle ne s'embarrassa plus de toutes ces conventions, et de cette moralisation dont les humains s'étaient encombrés. Et elle se sentait plus libre que jamais. Si elle avait envie de se promener nue, elle le faisait. Elle parla de moins en moins, ne pouvant avoir se conversations avec son amant. Elle ne voyait pas l'intérêt d'essayer de lui apprendre à parler, ils se comprenaient très bien sans cela. Elle ne l'en croyait pas incapable ceci dit, car il semblait comprendre tout ce qu'elle lui disait. Mais peut-être aussi avait-elle peur de ce qu'il pourrait lui dire, s'il commençait à parler. Et si jamais il devenait comme tous les autres? Elle aimait sa candeur et son honnêteté. Quand il avait envie d'elle, il la prenait, sans souci des convenances, quel que soit l'heure ou le lieu. Et à son contact, elle fit de même. Elle venait à lui quand elle en avait envie. Elle aimait plus que toute cette fougue toute bestiale. C'était parfois violent, mais c'était toujours bon.

Image

Plusieurs jours se passèrent de la sorte. Et cela avait suffi à lui faire oublier son ancien quotidien. Pas une seule fois elle avait retenté de quitter cet endroit. Peut-être plus tard, quand elle se serait lassée de ce petit jeu.

C'est lorsqu'elle y pensa le moins qu'ils arrivèrent. Il n'y avait pas fallu longtemps pour que tout le village s'alarme de la disparition de leur beauté. Les recherches s'étaient vite organisées, mais sans succès. On finit par aller trouver les deux cousines, les dernières personnes à avoir été vues en sa présence. Ils réussirent à leur faire avouer leur méfait sans trop de mal. Après plusieurs jours passés sans la voir revenir, elles commençaient à avoir peur et à se culpabiliser. Mais aucune n'avait eu le courage d'aller voir sur les lieux ce qui s'était passé, ni d'aller avouer la vérité. À présent, elles regrettaient leur acte.

Plusieurs hommes, et aussi quelques femmes s'étaient rendus au manoir au secours de la Belle. Celle-ci dormait paisiblement auprès de sa bête, lorsqu'ils furent réveillés à grand fracas. Une multitude d'hommes avaient pénétré dans les jardins, et la demeure pour certains, en hurlant son nom à pleins poumons. Ils avaient démontré leur courage en s'armant de pioches, haches, et tout ce qu'ils avaient pu trouver. Elle se vêtit du peu de vêtements qu'elle put dénicher, et descendit rapidement avant qu'ils n'aient tout démoli. Déstabilisée par un tel chamboulement, la bête suivit.

Qu'est-ce donc que toute cette agitation?! Êtes-vous fous? Vous voulez réveiller les morts? les invectiva-t-elle. À peine eurent-ils le temps de se réjouir de la revoir saine et sauve, que la bête se montra, créant une nouvelle agitation. Taisez-vous! leur intima-t-elle, mettant une main sur l'épaule de la créature, pour la rassurer. Ce n'est pas un monstre, il ne m'a fait aucun mal, alors ne lui en faites pas!" Ils se regardèrent tous, ne sachant quelle attitude adopter en pareille circonstance. Finalement, un homme s'avança, pour se mettre en avant: le père de la Belle.

"Ma chérie, j'étais si inquiet, quel bonheur de te retrouver et de voir qu'il ne t'est rien arrivé! Viens avec nous, le moment de rentrer est à présent venu. Tu dois avoir hâte de te reposer à la maison!

La Belle eu un moment d'hésitation. Rentrer? Alors qu'elle était si bien ici? Elle regarda la bête. Mais rester... quelle vie l'attendait ici? Elle fit un pas en avant, mais elle fut retenue par une puissante main. Elle se retourna vers lui, et croisa son regard suppliant. Désolée. Je me suis bien amusée avec toi, mais il faut que je parte maintenant. Elle lui embrassa le front, lui fit lâcher prise, et reprit son chemin. Un gémissement déchirant se fit entendre, mais lorsqu'elle se retourna à nouveau, la bête avait disparue. Sûrement était-il parti cacher sa tristesse dans quelque coin de la maison. Elle en ressentit un petit pincement au cœur, mais partit malgré tout.

De retour au village, tout le monde s'accorda pour dire qu'elle n'était plus la même. Elle était pensive, et plus rien ne semblait l'amuser. Mais personne n'osa lui en faire la remarque, au vu de ce qu'elle avait subi. Mais qu'avait-elle connu exactement, en ce lieu, durant tout ce temps? Tous se le demandaient, sans oser lui poser la question. Mais ils sentaient que cela avait dû être marquant.

Un jour, son père alla la trouver. Ma chérie, je vois bien que tu ne te sens pas bien depuis cet événement tragique. Et je pense avoir trouvé ce qu'il te faut pour te changer les idées. Je t'ai trouvé un fiancé! Tu verras, il est jeune et beau, et aussi très riche. Il m'a promis de te gâter. Tu n'auras plus aucun souci à te faire pour l'avenir. Tu auras tout ce que tu demanderas. Très bien père lui répondit-elle. Pas de protestation. Mais ce père qui connaissait si mal sa fille ne comprit pas combien cela était inhabituel.

Le lendemain, elle rencontra son fiancé. Il était tel que son père lui avait décrit. Fut un temps où elle se serait divertie avec lui. Et c'est d'ailleurs ce qu'elle fit. Elle ne mit pas beaucoup de temps à coucher avec lui, espérant retrouver les sensations si intenses qu'elle ressentait avec sa bête. Mais ce n'était chaque fois que décevant. Elle se mit alors à dépenser des sommes folles, espérant ainsi tromper son ennui de cette nouvelle façon. Mais rien n'y fit. Elle aspirait plus que tout à retrouver sa liberté. Elle se rendait compte à présent qu'elle était prête à donner ce que tous désiraient, au seul qui ne lui avait jamais rien demandé. Que devenait-il? N'était-il pas trop triste? Elle espérait qu'il ne se soit pas trouvé une nouvelle partenaire.

Une nuit, après une nouvelle étreinte décevante, elle prit sa décision. Elle repartit vers le manoir. Elle avait laissé derrière elle une courte lettre, dans laquelle elle expliquait qu'elle retournait vivre là-bas, et qu'il était inutile de revenir la chercher cette fois, car elle ne les suivrait plus, et elle les suppliait de ne plus troubler leur tranquillité. Lorsque son fiancé trouva ce pli, au matin, il en fut plus que troublé.

Elle fut de retour au manoir au petit matin. À peine eut-elle franchi la grille que la bête s'était précipitée à sa rencontre. Il avait senti son odeur se rapprocher longtemps avant qu'elle n'arrive, et avait eu du mal à contenir son excitation. À présent, il était blotti tout contre elle, comme un enfant abandonné. Là, tout va bien à présent lui dit-elle tout en lui caressant la tête. Je ne te laisserai jamais plus. Je t'aime, tu sais? Il releva la tête, et ils s'embrassèrent. Le vrai baiser, pour la première fois. Et comme nous ne sommes pas dans quelque légende, il ne se passa rien. La bête ne se transforma pas en beau prince. Et cela leur allait très bien. Qu'aurait-elle fait d'un prince ennuyeux? C'est de la bête qu'elle était tombée amoureuse, c'est donc la bête qu'elle voulait. Et nul autre. Il ne se passa rien, donc. Rien de visible en tout cas. Car entre ces deux là, un lien particulier s'était noué. C'était peut-être un amour bestial, immoral aux yeux des autres, mais c'était un amour véritable, qu'on peut se vanter d'avoir connu, de connaître, ou de connaître un jour. Il ne se passa rien, car il n'y avait jamais eu de fée ou de sorcière pour maudire qui que ce soit. La bête n'avait jamais subi de transformation. La vérité est qu'il était né ainsi, à la plus grande horreur de ses parents. Parents qui préférèrent oublier son existence en se soustrayant à sa vue, en l'envoyant à l'écart, aux bons soins du personnel d'un asile, au milieu de ceux qu'on jugeait ses semblables: les aliénés, les monstres, les erreurs de la nature. Ce qui se passa ensuite, nul ne s'en souvenait. Quoiqu'il en soit, quelques années plus tard, l'asile fut déserté par ses habitants. À l'exception d'un, qui fut abandonné derrière, on ne sait pourquoi. Tout cela, la Belle ne le saura jamais. Et quand bien même le saurait-elle, cela changerait-il quelque chose? Ils retournèrent très vite sous le couvert des arbres, pour retrouver leur petite vie, là où ils l'avaient laissée.

Plus personne dans le village ne tenta à nouveau de sauver la Belle. Pour eux, elle était définitivement perdue. On n'osa même plus évoquer son nom en public. Et bientôt, c'est en privé qu'on n'en parla plus. La raison de la fuite de la jeune fille, tout le monde l'avait comprise dans son for intérieur, mais personne n'osait l'évoquer à voix haute. Cela aurait attiré la honte sur la communauté.

Ainsi, la Belle dont personne ne tarissait d'éloges sombra dans l'oubli, par la force des choses.

Mais parfois, lorsque les pas d'un voyageur l'amenaient aux abords d'un vieux manoir abandonné, il lui semblait entendre des rires. Mais il préférait vite oublier cela. C'était sûrement son imagination.

FIN

Fiche ajoutée le 11 juin 2008.

◄ Document précédent : Les enfants ogresDocument suivant : Une autre princesse au petit pois ►

Commentaires

Ajouter un commentaire

Aucun commentaire pour le moment.

Identification