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Les enfants ogres

Textes > Contes cruels et immoraux

Voici le quatrième de mes contes de fées cruels et immoraux. Il peut être considéré comme une suite de la méchante sorcière, mais peut tout à fait être lu indépendamment.
Comme pour les autres contes, ne vous fiez pas aux apparences!


Il y avait, dans un petit village de paysans, une jeune femme qui attendait un enfant. Mais cet événement était loin de la combler de joie. Bien au contraire! Elle vivait un tel cauchemar, que la pauvre âme en avait perdu l'esprit au fur et à mesure que son ventre grossissait, et qu'elle ne pouvait plus nier l'évidence. Personne ne savait la raison exacte de sa lente descente aux enfers. À part que cette grossesse n'était pas désirée. D'ailleurs, la pauvre enfant n'était pas mariée. Un soir, elle était revenue chez ses parents absolument horrifiée, dans un sale état, et bredouillant une histoire qu'ils avaient peine à comprendre, et encore plus à croire. La rumeur qui s'était rapidement répandue dans tout le village, disait que cette nuit-là, elle avait croisé la route d'un ogre. Mais celui-ci n'était pas animé de la même faim de chair fraîche que dans les histoires.

Pas étonnant dans ces conditions que cette jeune fille, qui n'avait encore connu aucun homme, en perde la raison! Il était déjà plus qu'étonnant qu'elle ait survécu à cette rencontre. Mais si la rumeur était vraie, qu'allait-elle mettre au monde, exactement? Cette question obsédait tout le monde dans le village, mais personne n'osait la formuler à voix haute. Sans compter que son ventre se faisait chaque jour de plus en plus gros. Démesuré! Toute femme ayant déjà mis au monde un enfant tremblait d'effroi pour elle. Cette créature n'allait-elle pas sortir d'elle en lui déchirant les entrailles?

Arriva alors le jour de la délivrance. L'accouchement se passa mal dès le début. La future mère était devenue littéralement hystérique, et se frappait le ventre. Il fallut la maîtriser et l'attacher au lit. Comment dans ces conditions la raisonner et lui donner les instructions afin que les choses se passent mieux? Tant bien que mal, la sage-femme fit son office, et réussit enfin à sortir l'enfant. Il s'agissait d'un garçon absolument superbe, et d'une taille normale, bien que bien portant. Les traits de l'accoucheuse se radoucirent à la vue d'un si bel enfant. Toutes ces histoires pour rien! Mais alors, pourquoi son ventre était-il si tendu? Elle ne mit pas longtemps à le savoir: il y avait tout simplement un deuxième enfant! Une petite fille cette fois-ci, tout aussi belle et en bonne santé que son frère. Elle allait annoncer la bonne nouvelle à la mère, mais fut aussitôt alarmée par son état. Elle s'était tant débattue, qu'elle était à présent dans un état d'épuisement effrayant. Malgré les soins de la sage-femme, elle ne tarda pas à rendre l'âme. Ce qui n'était peut-être pas plus mal pour elle. Mais que faire des enfants?

Ils furent finalement confiés à la sœur de leur mère décédée. Celle-ci vivait dans le village d'à côté avec son mari, et ils n'avaient pas encore d'enfants. Mais c'est de mauvaise grâce qu'elle accepta de les prendre. Qu'allaient-ils faire de deux bouches supplémentaires à nourrir? Ils avaient déjà du mal à joindre les deux bouts alors qu'ils travaillaient tous les deux. De plus, quelles étaient ces créatures qu'ils accueillaient sous leur toit? Ils avaient, comme tout le monde, entendu les rumeurs. Ces choses n'étaient sans doute pas tout à fait humaines, et elles avaient causé la mort de sa tendre sœur. Il ne fallut pas deux jours à leur marâtre pour concevoir une haine totale à leur encontre. Elle résolut alors de les abandonner à leur sort, dans la forêt. Que lui importait qu'ils survivent!

Ce soir-là, donc, avant que la nuit ne soit tombée, elle s'enfonça le plus possible dans le bois tout proche, et les déposa à l'entrée d'une grotte. Puis, elle courut aussi vite qu'elle put jusque chez elle, comme si elle avait le diable aux trousses.

Cette nuit-là, elle ne put jamais fermer l'œil. Non pas qu'elle regretta son geste. Mais dès que le froid et la faim se furent insinués dans le corps des deux enfants, ceux-ci se mirent à pleurer, à pousser des hurlements tels qu'ils parvinrent aux oreilles de tous les villageois. Il faut dire que les parois de la grotte devant laquelle ils se trouvaient réverbéraient à merveille leurs cris. Pas un villageois ne parvint à trouver le sommeil, horrifiés par ces hurlements d'outre-tombe, se demandant quelle créature de l'enfer allait surgir des bois.

Le lendemain matin, ils trouvèrent la fautive, et la sommèrent d'aller retrouver les enfants. Elle allait assurément attirer le malheur sur le village. Qu'allaient-ils faire si leurs cris attiraient les loups? Pire encore : et si le père des deux enfants venait jusqu'ici, alerté par leurs cris? Il pourrait décider de se venger du sort que l'on avait réservé à sa progéniture sur tous les habitants. Mieux valait donc en prendre soin. La marâtre ne se fit pas prier longtemps, car elle aussi avait eu grand peur. Elle se dépêcha donc de retrouver le lieu où elle les avait abandonnés, et de les ramener chez elle, où elle les mit au chaud, et les nourrit. Désormais, elle en prendrait soin, bon gré, mal gré.

Les années passèrent, et Hensel et Gretel - ainsi les avaient baptisés leurs parents adoptifs - grandissaient incroyablement bien et vite. Ils étaient très robustes malgré le manque de nourriture et le travail incessant que leur donnait leur marâtre, qui n'avait jamais réussi à vraiment les aimer. Ils étaient aussi très beaux et intelligents. Bref, ils auraient reçu toute l'admiration du village, s'il n'y avait pas eu l'ombre de leurs origines qui planait sur eux, faisant que les gens les évitaient toujours le plus possible.

Dès qu'ils avaient été en âge, leur mère les avait mis à contribution aux travaux de la maison, disant qu'il était inacceptable d'être nourris sans avoir gagné son pain. Chaque jour, elle leur trouvait de nouvelles corvées à faire. Ainsi, elle vidait sa frustration sur eux. Jamais, son mari et elle n'avaient eu d'enfants à eux. Ils ne pouvaient pas assumer une famille plus grande. Ils n'avaient même jamais dis à Hensel et Gretel qu'ils avaient été adoptés. Leur père, lui, s'accommodait très bien de tout cela. Il avait fini par se prendre d'affection pour les deux orphelins. Mais sa femme finit par ne plus supporter la situation. Et l'hiver qui suivit étant particulièrement difficile, lui fournit une excuse parfaite pour se débarrasser une bonne fois de ces rejetons. Un soir, elle prit à part son mari, une fois les enfants couchés, et aborda la nécessité d'abandonner les enfants, s'ils ne voulaient pas tous mourir de faim. Son mari tenta de la faire fléchir, évoquant plusieurs arguments : et si l'ogre, leur vrai père apprenait la nouvelle? Foutaises! rétorqua-t-elle. Elle ne croyait plus à ces balivernes depuis belle lurette. Si leur père était vraiment au courant de leur existence, et s'en inquiétait, il serait venu les chercher depuis longtemps. Et pour finir de le convaincre, elle évoqua leur robustesse. Avec la chance dont ils avaient fait preuve jusqu'ici, ils survivraient et trouveraient même une nouvelle famille qui voudrait bien d'eux! Ce serait même une chance pour eux, car là où ils seraient, personne ne connaîtrait leurs origines. Ils pourraient alors repartir de zéro!

Le mari, ayant toujours été un peu faible face à sa femme, finit donc par se ranger à son avis. Ils prévirent donc, le lendemain matin, de prendre la charrette, pour se rendre avec eux dans une forêt, non loin de là, sous prétexte de trouver quelques glands et noisettes, et de ramasser du petit bois. Elle ne choisit pas cette forêt innocemment. Elle avait entendu dire qu'une sorcière y vivait. Avec un peu de chance, elle s'occuperait comme il se doit de ces gamins. Bien sûr, elle se garda bien d'en parler à son mari. Il aurait tout de suite refusé d'exécuter son plan. Mais elle n'avait pas le choix. Elle ne pouvait pas essayer de les perdre dans leur forêt, ils la connaissaient trop bien. Elle ne voulait pas courir le risque de les voir revenir.

Le plan fut donc mis à exécution. Toute la petite famille monta dans la charrette, et mit pied à terre dans une nouvelle forêt. Par chance, il n'y avait pas de neige. Ils purent donc commencer à chercher quelques denrées hivernales sans trop de problèmes. Les parents firent d'abord comme si de rien n'était, pour ne pas éveiller les soupçons de leurs enfants. Puis, petit à petit, ils s'éloignèrent de la charrette, avant de se séparer d'eux, sous prétexte de couvrir plus de terrain, et d'être plus efficaces. Dès qu'ils furent suffisamment éloignés, ils s'empressèrent de rejoindre la charrette, et s'éloignèrent aussi vite que possible. Hensel et Gretel, tout occupés qu'ils étaient à ramasser glands et châtaignes, ne remarquèrent pas tout de suite l'absence de leurs parents. Mais lorsqu'ils ne retrouvèrent pas non plus la charrette, ils s'en alarmèrent. S'étaient-ils trompés d'endroit? S'étaient-ils perdus en s'enfonçant trop sous les arbres? Ils n'osaient pas encore imaginer le pire, à savoir que c'était leurs parents eux-mêmes qui les avaient volontairement oubliés là. Lorsque le jour commença à décliner, ils durent se rendre à l'évidence : ils étaient abandonnés à eux-mêmes dans une forêt qu'ils ne connaissaient pas. Que faire? Au moins, ils avaient quelques maigres provisions. Mais ils devaient chercher avant tout un abri pour passer la nuit, s'ils ne voulaient pas être attaqués par des bêtes sauvages, ou bien mourir de froid. Ils marchèrent longtemps avant de trouver quelque chose. Peu après que la nuit soit tombée, ils trouvèrent une vieille masure délabrée. Vu l'état dans lequel elle se trouvait, elle devait être abandonnée. Ils s'en approchèrent donc précautionneusement, et ouvrirent la porte. Mais à peine eurent-ils fait cela, qu'une effroyable vieille femme se jeta sur eux et les saisit. Ils hurlèrent plus de surprise que de peur, criant à la sorcière. Entendant cela, la vieille femme les relâcha, comme prise de regrets, et referma la porte derrière eux. Elle ne voulait pas leur faire de mal, leur expliqua-t-elle. Seulement, il faisait si froid dehors, qu'elle voulait les faire vite entrer, et refermer cette porte. Elle leur demanda ce qu'ils faisaient ici à pareille heure, et lorsqu'ils lui eurent expliqué, elle leur offrit l'hospitalité. Elle n'avait qu'un lit, mais elle leur offrit de bon cœur, expliquant qu'à son âge, on ne dormait plus guère, et qu'elle se contenterait aussi bien d'une chaise près de la cheminée. N'ayant pas trop le choix, ils acceptèrent, suspicieux.

Le comportement de cette femme leur paraissait bien étrange. Ils n'osèrent donc pas trop fermer l'œil de la nuit, préférant guetter leur hôte. Celle-ci marmonna une bonne partie de la nuit, perdue dans ses pensées. Elle semblait prise par un vrai dilemme, et ne savait qu'elle attitude adopter.

Le lendemain matin, lorsqu'ils se levèrent, elle agissait de manière encore plus étrange.

Soudain, elle se retourna vers eux, un couteau à la main, le regard fou. Les deux enfants qui n'avaient pas perdu leur temps la nuit dernière, s'étaient préparés à une telle éventualité. Ils réagirent donc prestement. Hensel se jeta sur la sorcière pour la faire tomber à terre. Gretel se jeta sur le couteau qu'elle venait de lâcher, et se précipita sur la vieille femme. Entre temps, Hensel s'était relevé, et se saisit d'une pelle non loin de là. Tous deux la rouèrent de coups. Loin d'être horrifiés par les cris de leur victime, ou par le sang qui giclait, ce spectacle semblait au contraire les galvaniser, les faisant redoubler leurs coups. Était-ce leur nature profonde d'ogre qui ressurgissait au grand jour? Quoiqu'il en soit, lorsqu'ils relâchèrent leurs instruments de torture, n'importe qui aurait été bien en peine de reconnaitre leur victime. Une fois calmés, ils prirent le temps de laver le sang de leur visage et de leurs vêtements, et de piller le peu de vivres qu'ils trouvèrent avant de reprendre la route.

Ils trouvèrent près de la demeure un vieux chemin qui semblait abandonné depuis longtemps. Ils l'empruntèrent, faute de mieux, et arrivèrent à un village inconnu d'eux. Là-bas, ils furent assez vite entourés d'adultes, alarmés par l'état pitoyable des enfants. Lorsqu'on leur demanda ce qui leur était arrivé, et d'où ils venaient comme cela, ils racontèrent leur rencontre avec la sorcière. Récit durant lequel Gretel versa bien des larmes de crocodile, pour apitoyer les gens. Les villageois n'en crurent pas leurs oreilles. Mais une fois remis de leur stupéfaction, ils traitèrent les deux enfants comme des héros, et une grande discussion s'engagea pour savoir qui aurait l'honneur de prendre les deux orphelins sous son toit. C'est finalement le maire du village qui eut gain de cause, arguant qu'il n'avait plus d'enfants. En effet, ceux-ci avaient tous été emportés en bas-âge, à cause d'une trop faible constitution. Et sa femme en avait toujours souffert. Elle fut donc ravie d'accueillir de si beaux et courageux enfants chez elle. Très vite, elle les considéra comme ses propres enfants, et ils purent expérimenter ce qu'était l'affection d'une mère, chose dont ils avaient toujours manqué. Ils apprenaient aussi ce qu'était l'abondance, car le maire était l'un des plus riches villageois. Aussi n'avaient-ils aucune corvée à faire. Ils purent même aller à l'école. Chose incroyable! Ils se firent très vite à ce style de vie. Il leur parut même au bout d'un certain temps, qu'il était parfaitement normal qu'on les traitât de la sorte. Ce qui les rendit quelque peu orgueilleux. Mais ils n'en laissèrent rien paraître, continuant à jouer le rôle des pauvres petits orphelins. Ils passèrent ainsi quelques années avec leur nouvelle famille. Mais au fond d'eux, ils ne pouvaient oublier leurs anciens parents, et brûlaient de se venger.

Un jour, n'y tenant plus, ils volèrent une charrette, et partirent sans prévenir personne, prenant à peine le temps d'empaqueter quelques affaires. Ils trouvèrent très vite leur ancien village, n'étant séparé de l'autre que par la forêt. Ils cachèrent leur véhicule à l'orée des arbres, et guettèrent leurs parents en attendant la nuit, prenant leur mal en patience, tellement l'envie d'en découdre brûlait en eux.

À l'instant même où ils virent le visage de leur marâtre, la haine qu'ils avaient toujours éprouvée pour elle, sans même s'en être rendus compte, se raviva. Non, elle était bien plus forte, car depuis la disparition de Hensel et Gretel, cette femme avait mis au monde un enfant bien à elle. Et tous les soins qu'elle lui prodiguait étaient aux antipodes de ce qu'elle leur avait fait subir.

Dès que la petite famille fut couchée, ils ne perdirent pas un instant. Ils pénétrèrent dans la maison, saisirent hache et couteau, et assassinèrent leurs parents. Quant à l'enfant, ils l'étouffèrent dans son sommeil, ne pouvant lui pardonner d'avoir eu ce dont eux avaient été privés.

Que faire après cela? Ils ne pouvaient pas retourner dans leur nouveau village. Comment expliquer leur absence? De plus, ils étaient à présent habitués à l'exaltation du meurtre. Ils ne pouvaient plus le nier désormais. La joie malsaine qu'ils avaient ressentie en tuant la sorcière s'était réveillée. Elle avait même été amplifiée par ce nouveau meurtre. Malgré tout, il y avait encore une once d'humanité en eux. Ils ne voulaient pas retourner auprès des seules personnes à avoir été bonnes avec eux, car ils savaient qu'ils finiraient par commettre de nouvelles atrocités. Ils se mirent donc en route vers un nouveau village, le plus loin possible.

Ils ne mirent pas longtemps à en trouver un. Arrivés là, ils abandonnèrent la charrette à l'écart, et entrèrent dans le village à pied, refaisant le numéro des pauvres orphelins, Gretel pleurant à chaudes larmes. Une fois de plus, les gens s'assemblèrent autour d'eux, et leur offrirent un toit. En fait, cela marcha même plusieurs fois. Car systématiquement, leur instinct sanguinaire finissait par refaire surface, et après avoir commis un nouveau massacre, ils disparaissaient... et réapparaissaient plus loin, dans un autre village. Et à chaque fois, des gens attirés par le charisme des deux enfants leur offraient un foyer.

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Mais au bout de quelques années de ce train de vie, ils durent faire un constat: ils entraient dans l'adolescence, bientôt, plus personne ne les prendrait en pitié comme c'était le cas pour le moment. Il fallait donc changer de tactique. Pour leur dernier pèlerinage, ils décidèrent d'aller s'installer en ville, où ils pourraient avoir une vie plus décente.

Ils devaient faire un autre constat : ils étaient incapables de faire preuve d'amour envers une autre personne que l'un envers l'autre. Il n'y avait également qu'en l'autre qu'ils avaient une confiance aveugle. Et cet amour réciproque grandissait en même temps que leur instinct meurtrier.

Avant d'entrer dans cette nouvelle ville, Hensel demanda à sa sœur de ne plus le considérer comme son frère. D'oublier même qu'il l'avait été. Car, ajouta t-il, il n'épouserait personne d'autre qu'elle. Gretel, qui partageait toujours ses pensées comme s'ils avaient toujours été une seule et même entité, approuva ses paroles. Et c'est main dans la main qu'ils firent leur entrée. Dans une si grande ville, il est plus dur d'attirer l'attention. Ils se résolurent donc à se rendre à la cour du roi. Chaque semaine, apprirent-ils, se tenait une audience où il recevait les gens de son peuple qui avaient une requête à formuler. C'était donc l'occasion rêvée.

Au château, ils n'eurent pas de mal à obtenir une audience auprès du roi, usant de leur charisme et de tous les tours qu'ils avaient appris à peaufiner au fil du temps.

C'est un jeune couple inspirant la plus poignante des pitiés que reçut le roi. Ils lui racontèrent la plus touchante des histoires. Ils étaient enfants de bonnes familles, Gretel, une cousine confiée à la famille de Hensel, et promise à lui depuis leur plus jeune âge. Ceux-ci avaient été spoliés de tous leurs biens, et leur famille anéantie par un riche bourgeois sans scrupule. Et ils exigeaient réparation. Comment ne pas croire en leur sincérité? Les larmes de Gretel étaient si poignantes, et leur bravoure d'être venus clamer la vérité à la cour du roi, admirable! Le roi trancha donc en leur faveur, et sans même demander d'investigation, fit arrêter le riche bourgeois en question, confisqua ses biens, et les restitua à Gretel et Hensel. Bien sûr, celui qui comprit le moins ce qui lui arrivait, était ce bourgeois. Car il n'avait, bien sûr, jamais volé les biens de qui que ce soit. Seulement, il avait eu le malheur que son nom parvienne aux oreilles de nos orphelins.

Les voila à présent forts d'une nouvelle fortune. Mais qu'allaient-ils faire, les pauvres, sans parents pour veiller sur eux? Ils étaient encore bien jeunes! C'est tout du moins ce que pensa le roi. Et celui-ci, étant connu pour sa générosité, décida de les prendre sous son aile. Il les adopta donc, mais pas officiellement cependant, car il avait déjà plusieurs héritiers. C'est ainsi que Hensel et Gretel firent leur entrée au château.

Ils s'en satisfirent un temps, enivrés qu'ils étaient par ce luxe, et leur nouvelle relation. Presque toutes les nuits, l'un des deux rejoignait l'autre dans sa chambre, et ainsi, le bouillonnement de leur sang fut un temps apaisé par la luxure, plutôt que par le meurtre. Mais l'un comme l'autre se lassait vite. Il leur fallait sans cesse de nouvelles sensations, et de plus en plus de richesses. Ils entreprirent donc de tuer un à un les héritiers du roi. Mais il s'agissait là d'un nouveau défi : tuer sans se faire découvrir. Cela était d'autant plus dur qu'il fallait les tuer soi-même. Quel en était l'intérêt autrement ? Il n'eût de toute façon pas été prudent d'avoir un quelconque complice, en qui ils n'auraient eu nulle confiance. Mais ils trouvèrent. Cela leur prit du temps, mais le temps jouait en leur faveur. Car plus de temps s'écoulait entre chaque mort, moins elles paraissaient suspectes. Et avec le temps, ils avaient appris la subtilité. On pouvait infliger tout autant de souffrance à une personne, sans pour autant la démembrer. Par l'utilisation de certains poisons par exemple.

Pas un seul instant on ne soupçonna Hensel et Gretel. Déjà, parce qu'ils n'étaient pas considérés comme des héritiers potentiels, et ensuite, parce qu'ils avaient enjôlé tout le monde au palais. Lorsque la dernière héritière fut retrouvée morte, le roi, effondré, amoindri par le chagrin que toutes ces morts successives avaient causé, n'eut pas d'autre choix que de convoquer le conseil et de désigner Hensel et Gretel comme ses nouveaux héritiers. Ceux-ci jouèrent à merveille l'étonnement, refusant dans un premier temps ce trône, pour se le voir offrir avec plus d'insistance. Toute la cour se rangea du côté du roi, le félicitant de son bon choix. De son côté, le nouveau couple princier exultait. Ils n'auraient pas pu rêver que les choses se déroulent mieux.

Ils laissèrent passer quelques semaines comme cela, goûtant à leur victoire, jouant le rôle.

Puis, leur patience ayant été poussée à bout, ils empoisonnèrent le roi.

Étant désormais les seuls héritiers du monarque, et n'ayant aucun opposant, ils ne prirent même pas la peine de se cacher. À quoi leur servirait-il de prendre des précautions désormais?

Dès le lendemain de la mort du vieux roi, ils firent célébrer leur mariage et leur couronnement en une seule et fastueuse cérémonie.

Et ce jour vit l'avènement des plus grands tyrans que l'histoire ait vu naître.

Fin

Fiche ajoutée le 27 mai 2008.

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