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La nouvelle petite sirène

Textes > Contes cruels et immoraux

Voici le premier de mes contes de fées cruels et immoraux.
Ne vous fiez pas au titre, ce n'est pas à proprement parlé un pastiche de la petite sirène.
Ne vous fiez pas non plus au ton qui peut paraitre naïf. J'ai volontairement utilisé un style qui correspond au conte de fées. Mais ne vous fiez pas aux apparences, il faut aller jusqu'au bout du récit. Vous pourriez être surpris!


Il était une fois, une petite sirène. Cette sirène n’était pas si différente d’une jeune humaine, dans le sens où, comme toutes les jeunes filles de son âge, elle rêvait du grand amour. Aussi, passait-elle de longues journées à imaginer à quoi il pouvait ressembler, cette oisiveté favorisée par le peu d’activités qu’offrait le bras de mer où elle vivait.

Un jour, un groupe d’amies vint la chercher afin de faire une incursion à la surface. Elle n’hésita pas une seconde pour accepter. Cela serait sa première expédition dans le monde des humains ! Elle en était tout excitée. Il n’était en rien interdit aux sirènes de se rendre à la surface. Bien au contraire. Mais il y avait bien longtemps par ici que personne n’y était allé. Même la surface ne présentait plus grand intérêt par ici ! Malgré tout, c’est le cœur battant qu’elle suivit le sillage de ses amies.

De tout temps, les sirènes s’étaient rendues à proximité des côtes, pour attirer de leur chant des humains isolés. Ceux-ci racontaient - paraît-il - qu’elles faisaient cela pour les dévorer. Certes, il était bon de varier son alimentation avec un peu de viande de temps en temps, mais cela n’était pas la vraie raison. Comme je l’ai déjà dit, les sirènes n’étaient pas si différentes de toutes les femmes. Comme elles, elles aimaient les belles choses. Tout particulièrement ces pierres que l’on disait précieuses, dont on trouvait de toutes les couleurs, et qui brillaient de mille feux. Lorsqu’une sirène repérait un bateau susceptible de transporter telle marchandise, elle séduisait alors son équipage afin de provoquer son naufrage. Elle n’avait alors plus qu’à retrouver l’épave au fond des mers, et de retrouver les trésors qu’il contenait. Bien sûr, il n’y avait pas que des bijoux. Il y avait aussi tant de curiosités ! Les humains n’avaient pas leur pareil pour façonner des objets aussi merveilleux que d’utilisation insoupçonnée.

Ainsi, notre groupe de sirènes était-il parti en quête de toutes ces choses incroyables.

Une fois arrivées à la surface, quelle ne fut pas leur déception ! Il n’y avait en effet que quelques barques de pêcheurs ici et là. Hé oui, ce qu’elles ne savaient pas, c’est que le temps des grandes conquêtes et des explorateurs, transportant les trésors de mondes nouveaux était révolu depuis longtemps ! Les grands bateaux de commerce ne passaient plus guère par ici non plus. Il y avait bien des pêcheurs de perles, mais quel intérêt pour elles ? Les perles étaient si communes chez elles. Il leur suffisait presque de se pencher pour les ramasser.

Dépitées, elles rebroussèrent donc chemin. Toutes, sauf notre petite sirène. Jamais elle n’avait vu le monde des humains. Elle décida donc de rester quelque temps pour l’observer, fascinée. Son regard se posait partout, avide qu’elle était d’en apprendre le plus possible. Mais au bout de quelque temps, son attention finit par se poser sur une barque isolée. À son bord se trouvait un jeune homme à l’air mélancolique. Contrairement aux autres pêcheurs qui s’échinaient à la tâche, hissant à la force de leurs bras de lourds filets, celui-ci restait assis dans sa barque, la tête posée dans la main, soupirant. Il l’intrigua tout de suite. Aussi se rapprocha-t-elle de lui pour l’observer plus à son aise, tout en restant soigneusement dissimulée à son regard. Ce qu’il était beau ! Les critères de beauté n’étaient guère différents entre humains et sirènes. Du moins, pour tout ce qui se passait au dessus de la taille. Elle aurait été incapable de dire si ses jambes étaient longues et élégantes, et qu’importe ! Elle ne les voyait même pas de là où elle se trouvait.

Notre jeune homme était le fils d’un riche pêcheur, qui avait fait fortune dans le commerce, en vendant son poisson dans les plus grands marchés. Son fils était en âge de reprendre le commerce. Seulement, il désirait que son fils fasse d’abord ses preuves en tant que simple pêcheur. Il estimait qu’il n’y avait que comme cela qu’il prendrait conscience de la vraie valeur du travail, et qu’il respecterait le dur labeur de ceux qui travailleraient pour lui. C’était un homme avisé qui avait toujours porté de l’amour à l’océan et à son métier.

Son fils, quant à lui, ne s’intéressait qu’au commerce et aux chiffres. Il ne voyait pas l’intérêt de ce petit jeu, et ne s’y prêtait que de mauvaise grâce. Après quelques essais infructueux, il avait tout simplement renoncé à ramener la pêche miraculeuse que son père avait exigée de lui, et grâce à laquelle il estimerait son fils prêt à prendre sa succession.

Depuis, il passait ses journées dans sa barque, son filet soigneusement plié à ses côté, et ne bougeait pas de tout le jour. Pourtant, il lui tardait de reprendre le commerce familial ! Il avait des tas d’idées pour le faire prospérer. Des méthodes bien différentes de celles de son père, cet homme qu’il ne comprendrait jamais.

Aujourd’hui encore, il était resté ainsi, sans rien faire, à broyer du noir. Quand il réalisa l’heure qu’il était, il décida de rentrer au port.

Notre jeune sirène était restée à l’observer jusqu’à ce qu’elle voie la barque s’éloigner, essayant d’imaginer pourquoi il agissait de la sorte. Une fois qu’il fut hors de vue, elle repartit vers les profondeurs de l’océan par de puissants coups de queue, la tête pleine de pensées nouvelles. Dès lors, elle ne fit plus que de penser à son prince - c’est ainsi qu’elle aimait à l’appeler. Parfois, elle retournait à la surface pour l’observer encore. Il était toujours à la même place, avait toujours la même expression sur le visage. Et cela lui paraissait si romantique ! Elle imaginait divers scenarii pour expliquer ce curieux phénomène. La jeune fille ne s’ennuyait plus, elle avait un nouveau passe-temps.

Mais au bout de quelque temps, elle commença à être atteinte de langueur, et à devenir elle aussi mélancolique. Elle s’imaginait tout d’abord que le mal dont souffrait son prince devait être contagieux, et qu’elle l’avait attrapé. Mais bientôt, elle dut se rendre à l’évidence : elle était amoureuse ! Cette réalisation changea du tout au tout la façon dont elle pensait à son prince. Devait-elle essayer de le séduire ? Ce ne serait pas dur avec sa voix. Mais alors, il serait envouté, et il risquerait de se noyer. Non, elle ne voulait pas de ça. Il ne pouvait définitivement pas la rejoindre sous les eaux. Et elle ? Pouvait-elle le rejoindre sur la terre ferme ? Pas sous sa forme de sirène en tout cas, elle serait bien trop handicapée et vulnérable. Elle avait entendu une histoire quand elle était enfant, d’une jeune sirène qui aurait utilisé la magie pour obtenir des jambes. Qu’était-elle devenue ? Elle ne s’en souvenait pas. Mais en tout cas, cela devait être possible. Quel effet cela pouvait-il faire d’avoir des jambes ? Et à quoi ressemblerait-elle avec ? Dur à imaginer. Cela lui donna une nouvelle occupation : observer les crabes et autres langoustes pour étudier la mystérieuse science de la marche. Certes, ils avaient plus de jambes qu’un humain, mais cela ne devait pas être si différent.

Mais une question la tourmentait toujours. Que devait-elle faire en premier ? Aller voir son prince pour le séduire, et ensuite renoncer à sa queue, ou bien d’abord obtenir des jambes, et ensuite aller le séduire ? Elle fini par décider qu’il était plus sage d’aller d’abord trouver son prince. Certes, il risquait d’être choqué par son aspect, mais le risque était moins grand que de se retrouver toute seule sur terre, sans espoir de retour à la mer, si jamais il ne voulait pas d’elle ou était déjà marié.

Elle prit alors son courage à deux mains, et se dirigea vers l’endroit où elle savait qu’il tenait toujours sa barque. Heureusement, cet endroit était un peu en retrait des autres pêcheurs, comme s’il ne souhaitait pas se mêler à eux. Ainsi, elle pourrait se montrer à lui sans risque.

Elle s’approcha sans bruit de sa barque, le cœur battant à tout rompre, et l’appela doucement.

― Mon beau prince ?

Le jeune homme sursauta à cet appel, et fut encore plus surpris lorsqu’il vit une superbe jeune fille s’agripper à sa barque, l’air suppliant. Sa surprise redoubla en constatant qu’elle était nue.

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― Mon dieu, mais que faites-vous là, vous allez vous noyer ! S’écria-t-il en faisant mine de vouloir la hisser à bord de son embarcation.

― Aucun risque monseigneur, dit-elle en repoussant doucement sa main, je suis ce qu’on appelle une sirène. Je vous prie de bien vouloir me croire !

Et pour illustrer son propos, elle fit surgir l’extrémité de sa queue hors de l’eau, suffisamment longtemps pour qu’il la voie, et soit sûr qu’il ait bien vu. Il resta bouche bée devant ce spectacle.

― Mon cher prince, si je prends le risque de me montrer à vous aujourd’hui, ce n’est pas sans raison. Depuis que je vous ai vu, je brûle d’amour pour vous. C’est la vérité ! Je ferais tout, je suis même prête à renoncer à ma queue par amour pour vous !

Il resta sans voix quelques instants, essayant de comprendre ce qu’elle venait de dire, et pourquoi elle s’obstinait à l’appeler prince. Puis, une idée germant dans son esprit, son visage s’illumina.

― Tu es vraiment prête à y renoncer pour moi ?

― Oui ! Vraiment ! Répondit-elle, mettant dans ses mots toute la conviction dont elle était capable.

Il lui sourit alors, et lui tendit la main. Elle la saisit, le cœur gonflé de joie.


Tout un attroupement de pêcheurs se formait autour du jeune homme.

― Quelle merveilleuse prise tu as fait là ! Dis un vieux pêcheur édenté.

― C’ton père qui va êt’e fier ! Des jours qu’t’avais rien ram’né ! Et tout à coup, c’te bête ! Fit un deuxième, en désignant l’immense poisson que venait de hisser le jeune homme sur le quai. Où plutôt, le demi-poisson.

― Dommage qu’il manque la tête ! Cette bête devait être énorme !

― Je sais, c’est dommage, mais elle m’a donné tellement de mal, que je m’estime déjà heureux d’avoir ramené ça. Et puis la tête était tellement affreuse, qu’on aurait rien pu en tirer. Elle aurait effrayé vos femmes ! Répondit le nouveau pêcheur, triomphant.

Il était fier de lui. Quelle aubaine s’était présentée à lui ! Après ça, il n’aurait jamais plus à aller pêcher. Certes, il avait bien pensé à ramener la créature en entier, mais cela n’aurait pas satisfait son père. Le connaissant, il aurait même exigé de lui qu’il l’a relâche. Et puis de nos jours, plus personne de croyait aux sirènes !


Quelques jours plus tard, on retrouva un buste de femme terriblement mutilé sur la plage, en un endroit isolé. Le bas de son corps avait été arraché au niveau de la taille. La pauvre innocente n’avait pas dû mourir sur le coup. Elle avait laissé une trainée dans le sable, rougie de son sang, qui laissait supposer qu’elle avait rampé péniblement sur quelques mètres, dans un réflexe de survie. Ironie du sort, même si elle avait pu aller plus loin, elle se serait noyé, car c’est en direction de la mer qu’elle s’était trainée, et non pas en direction des habitations.

Elle était totalement inconnue au village. On ne sut jamais qui elle était. On supposa qu’elle avait été victime du monstre marin que le fils du négociant-commerçant en poisson avait pêché plus tôt. Imaginer qu’il avait ainsi sûrement sauvées de la gueule du monstre d’hypothétiques futures victimes ajouta encore à son prestige.

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Après cet incident, il put enfin prendre la succession de son père, comme il le désirait, ayant reçu l’approbation et même les félicitations de celui-ci.

Quelque temps plus tard, profitant de sa réputation et de sa fortune grandissante grâce à ses nouvelles méthodes de négoce, il épousa une jeune noble désargentée, gagnant ainsi des lettres de noblesse, et des armoiries. Sur celles-ci figurait une sirène, souvenir d’une vieille légende qui survivait dans la famille de son épouse. On racontait qu’une jeune sirène serait morte d’amour pour un de leurs ancêtres.

Grâce à sa nouvelle noblesse, il put encore étendre son commerce et augmenter sa fortune.

Il vécut alors heureux, et vécut longtemps.

Fin

Fiche ajoutée le 27 mai 2008.

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